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Production foncière : Les limites d’une politique …


En six ans seulement, le marché foncier a explosé. Le prix des terrains constructibles vendus par les institutions étatiques est passé d’une moyenne de 170 dinars pour le m2 en 2012 à environ 313 dinars en 2018. Avec la tension inflationniste engendrée essentiellement par la dévaluation du dinar et le déficit de la balance énergétique, l’on peut conclure qu’il s’agit, en effet, d’un blocage du marché immobilier en Tunisie.


Avoir une maison a été de tout temps le rêve du Tunisien. D’ailleurs c’est l’investissement le plus important des familles tunisiennes, notamment de la classe moyenne, après bien entendu, la première indiscutable priorité, à savoir l’investissement dans l’éducation de la progéniture. Mais depuis la révolution, le secteur immobilier vit une véritable crise qui ne cesse d’empirer d’une année à l’autre, au point de compromettre le droit à l’habitat. Cela fait quelques années que le secteur immobilier est pratiquement bloqué : la hausse continue de la demande foncière, ainsi qu’en matière d’habitat, n’est jamais satisfaite en raison des prix inaccessibles des terrains constructibles, mais également à cause du coût très élevé de la construction.

Le programme du premier logement, lancé en 2018, et qui devrait alors faire office d’une soupape de sûreté afin de débloquer le secteur maintenu sous une chape de plomb, depuis une dizaine d’années, n’a pas porté ses fruits. Selon les données du ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, seulement 15% de la ligne de financement allouée au programme ont été consommés durant la première année de son lancement. Les professionnels du secteur imputent cette léthargie qui a frappé le secteur, entre autres, à la cherté des crédits immobiliers, notamment pour la classe moyenne, y compris les aisés de la classe moyenne. En effet, le taux d’intérêt du crédit immobilier se situe aux alentours de 12%, engendrant ainsi une hausse spectaculaire du montant total à rembourser qui peut atteindre trois fois le montant initial du crédit. Le montant mensuel à rembourser par le ménage bénéficiant du programme de premier logement peut dépasser les 2 mille dinars. Une somme faramineuse pour les familles tunisiennes dont le revenu moyen atteint à peine les 900 dinars.

Une demande foncière non satisfaite
Mais là, ce n’est qu’un aspect de la crise immobilière. L’adage qui dit « quand le bâtiment va, tout va » est révélateur dans la mesure où le secteur peut refléter l’état de santé de la machine économique. Parmi les raisons de l’enlisement de la crise du secteur immobilier et la cherté du coût de l’habitat figure également la baisse de l’offre foncière. En effet, selon les statistiques du ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, l’offre foncière globale—secteurs privé et public confondus- ne couvre que 30% de la demande nationale sur le marché immobilier. Cette dernière est estimée à 30 mille logements par an. Pour les experts urbanistes, la crise immobilière est avant tout un problème d’offre foncière. Pour eux, la politique d’habitat, suivie depuis les années 80/90, a montré ses limites. Les institutions publiques, qui ont été mises en place par l’Etat dans l’objectif de réguler le marché foncier, ne sont plus en mesure d’accomplir cette mission. Ils déplorent également la gestion et la gouvernance désuète de la production foncière publique qui, soumises à des règles strictes, souvent inadaptées au marché immobilier tunisien, favorisent la construction horizontale et la production de chutes énormes.

Bien que les urbanistes préconisent les constructions verticales pour résoudre le problème induit par le manque de l’offre foncière, les Tunisiens penchent plutôt pour la construction horizontale. « Je trouve que les appartements manquent d’espace. Il n’y a ni jardin, ni grandes terrasses où on peut prendre de l’air et profiter de la verdure des arbres. C’est comme une cage d’oiseau», explique Sonia, une cinquantenaire qui vit à l’Ariana. Son mari, Habib un retraité de la fonction publique, considère qu’avoir sa propre villa, quelle que soit sa taille, est un investissement pour les générations futures. «Le prix de l’immobilier est devenu exorbitant. Que serait-il advenu de ce jeune couple, s’il n’y avait pas cette chance-là de bâtir une maison à étages. Au moins j’aurais laissé quelque chose pour tous mes enfants», explique-t-il tout en scrutant des yeux son fils et sa belle-fille.
En effet, sur les 3 millions 241 mille logements recensés en Tunisie, 78% ont le statut de propriété. Plus de 65% du parc logement national est d’une typologie villa ou duplex. L’habitat vertical ne représente que 8,6% du parc logement. Mais, à défaut d’y parvenir, les jeunes couples salariés, installés dans les grandes villes, notamment le Grand Tunis, n’ont plus de choix que de pencher vers les petits appartements. La métropole du Grand Tunis étant caractérisée par une forte concentration urbaine, soit 29% de la population mais également des activités avec un taux d’occupés qui y résident frôlant les 73 %.

La production foncière par l’AFH est devenue coûteuse
En tout état de cause, l’évolution du coût de la production foncière publique, durant les cinq dernières années, reflète une véritable crise de l’offre. Selon les statistiques de l’Agence Foncière de l’Habitation (AFH), le coût de la production d’une superficie de 38,4 hectares constructibles dépasse les 55,6 millions de dinars en 2018. Soit une moyenne de 1,45 million de dinars pour l’hectare. Six ans auparavant, ces chiffres étaient impensables. En 2012, la production d’environ 137 hectares coûtait à peu près 59, 4 millions de dinars. Soit une moyenne d’environ 433 mille dinars pour l’hectare. En seulement 6 ans, le coût de la production d’un hectare constructible a plus que triplé. Evidemment, cette hausse s’est directement répercutée sur le marché foncier, engendrant un saut au niveau des prix des terrains à vendre.

En 2018, l’AFH a vendu 33,5 hectares pour un montant total de 105,1 millions de dinars. Ce qui équivaut à une moyenne de 313 dinars pour le m2, tous types de terrain confondus, contre une moyenne de 170 dinars pour le m2 en 2012. La spirale inflationniste due essentiellement à la dévaluation du dinar a fortement impacté non seulement le coût de la production foncière mais aussi le prix des terrains constructibles. Selon les résultats de l’étude sur le livre blanc de l’aménagement territorial et urbain du Grand Tunis qui a été réalisée en 2014 par l’Agence d’Urbanisme du Grand Tunis, trois principales problématiques sont à l’origine d’une faible maîtrise de la production foncière, à savoir l’inefficacité des outils de maîtrise foncière, le manque d’observation foncière et de veille territoriale stratégique et enfin l’absence de réserves foncières en raison d’une politique tributaire de phénomènes spéculatifs.

Même si la spéculation dans le secteur date depuis longtemps, la période qui a suivi 2011 a été caractérisée par l’éclatement du phénomène contribuant ainsi à une aggravation de la crise foncière. Etant un secteur à très haut risque de blanchiment d’argent, le marché foncier est devenu une bulle spéculative. Le processus se déclenche avec l’achat d’un terrain en espèces, sans effectuer son enregistrement auprès des autorités de tutelle provoquant une véritable spirale des prix. C’est dans ce sens que la Chambre nationale syndicale des promoteurs immobiliers (Cnspi) a appelé à maintes reprises à lutter contre la vente informelle des terrains, et entreprendre les mesures administratives dans ce sens.
Face à cette crise multiforme, des solutions urgentes doivent être envisagées. Plusieurs voix s’élèvent pour une refonte du secteur, c’est-à-dire une réforme de sa gouvernance. Une solution qui ne peut porter ses fruits que sur le long terme. A court terme, la vente immobilière doit être débloquée. Les professionnels appellent, à cet égard, à faciliter les procédures d’achat pour les étrangers, afin de booster l’activité du secteur.

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